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Les hérétiques de la science

Ils ont choisi la dissidence. Risquant l’opprobre, la privation de crédits, l’impossibilité de travailler. Empêcheurs de penser en rond, les hérétiques, dans leur génie comme leurs dérives, bousculent les conservatismes de la science...


La science avance en bousculant les idées établies. Elle n’a ni dogme ni souverain pontife. Donc, en principe, pas d’hérétiques. Et pourtant, comment qualifier autrement un Jacques Benveniste, un Halton Arp ou un Peter Duesberg? Ils contredisent les théories dominantes et ils en payent le prix– opprobre, invectives, refus de publication, privation des moyens de travailler. On pourra dire que la science est humaine et que le système est ainsi fait. Les révolutionnaires se heurtent aux hiérarques et mangent de la vache enragée, mais au bout du compte, la vérité triomphe.


Mais il est une vision plus cynique, résumée par la phrase célèbre de Max Planck: «Une vérité nouvelle ne triomphe pas en convainquant ses adversaires afin qu’ils entrevoient la lumière, mais parce que ses adversaires meurent un jour et qu’une nouvelle génération, familiarisée avec la nouveauté, prend leur place.»


Peut-on dire qu’il existe aujourd’hui un nombre anormalement élevé d’hérétiques de la science? Certains le pensent. Une chose est sûre: depuis un demi-siècle, le fonctionnement de la recherche a changé. Ses moyens se concentrent sous l’égide de vastes organismes nationaux, brassant des budgets colossaux, soumis aux enjeux économiques, politiques ou militaires. Cela va de pair avec une inévitable bureaucratisation, parfois subie comme une entrave à la liberté de chercher.


Par ailleurs, l’évaluation des résultats par les revues à comité delectureposeproblème. Quelques grands magazines comme Nature ou Science «font la loi». Les pairs chevronnés, chargés de juger les articles, sont peu enclins à entendre les idées neuves. Plus grave: il y a le pouvoir discrétionnaire de leurs directeurs, qui excluent les sujets «tabous».
On verra que le parcours de nos hérétiques n’obéit pas à des règles uniques. Certains, comme Benveniste,fontscandale. D’autres, comme Vigier, travaillent en paix, mais subissent la censure du silence. Certains, comme les contestataires du Big Bang, proposent des idées aussi raisonnables que les théoriciens régnants.


D’autres, comme Duesberg, défendent des positions qui ne résistent pas à l’examen critique, mais qui trouvent un écho pour des raisons extra-scientifiques– un malaise social, une défiance envers les pouvoirs. Certains sont vieux, d’autres sont très vieux! Car on ne trouve plus guère de jeunes chercheurs qui ruent dans les brancards, leur carrière débutante n’y survivrait pas. Et c’est plutôt inquiétant, quand on y songe.


Voici donc notre galerie de trublions. Bien sûr, on aurait pu trouver d’autres exemples, mais nous pensons avoir choisi les personnages les plus emblématiques. A travers eux, mille questions se posent: à quoi servent les hérétiques? On serait tenté de dire qu’ils jouent le rôle de mouches du coche et d’empêcheurs de penser en rond.


Dommage qu’on doive les appeler hérétiques plutôt qu’originaux, excentriques ou rebelles. Le couple infernal formé par l’hérésie et le dogmatisme est toujours le signe d’un dysfonctionnement. Il faut y réfléchir. Heureusement, on trouvera aussi un revers plus léger: l’occasion d’une promenade dans l’inattendu, le paradoxe, l’imagination débridée, la voltige de l’esprit. La science en a besoin, autant que de rigueur.


Dossier réalisé par Jean-Pierre Lentin


Le dossier complet :
chez Sciences & Avenir


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