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Techniques de désinformation : manuel pour une lecture critique de la presse

Les journalistes se prétendent objectifs/ves et exhaustifs/ves... Mais dans leur manière d’écrire leurs articles, de les illustrer, de les mettre en page, de sélectionner l’information, etc. etc., ils et elles orientent la lecture, influencent l’opinion publique, alimentent une culture dominante et soutiennent ainsi, à leur façon, l’ordre établi. Ce petit manuel, clair, complet et émaillé d’exemples de la presse espagnole, donne de bons outils pour lire entre les lignes et nourrir l’esprit critique.

De nos jours l’opinion publique constitue un élément fondamental pour la stabilité ou l’instabilité du système. Et dans une société médiatique, « l’opinion publique est construite jour après jour par le bombardement continu des médias. La vérité est celle qu’ils présentent comme telle. Ce qui n’apparaît pas dans la presse n’existe pas, et ce qui existe, n’existe que dans la forme dont la presse le présente. »



L’importance des médias donne lieu, d’une part, à un fort contrôle de ceux-ci par le pouvoir, et d’autre part, à la nécessité que ce contrôle passe inaperçu pour préserver l’apparence de liberté d’information, préalable indispensable à la définition d’une société comme démocratique. Un troisième aspect est le fait que la majorité des médias sont des entreprises, lesquelles ont des objectifs commerciaux, ce qui aura également une influence sur leur ligne éditoriale. Le résultat de la conjonction de ces trois facteurs est la configuration d’un système de manipulation vaste et subtil, parfois contradictoire, mais qui généralement, plutôt que d’informer, essaye d’imposer une réalité par le moyen d’opinions et d’évaluations présentées comme vérités absolues.



L’inventaire de ces techniques de désinformation est le fruit de trois ans de travail du Groupe d’Apprentissage Collectif (GAC) de Communication Populaire, dans le cadre du projet éducatif et social de l’Ecole Populaire « la Prosperidad ». Trois ans à analyser de manière critique de nombreux articles de presse tirés des principaux quotidiens nationaux espagnols, de façon à, jour après jour, définir et élaborer des critères et des conclusions que nous vous présentons sous la forme de ces techniques.



Elles sont toutes apparues de manière claire et répétée, isolées ou combinées les unes par rapport aux autres. Nombre d’entre elles peuvent être appliquées à d’autres médias, télévision ou radio, mais pas de manière uniforme : tous les médias, étant données leurs différentes caractéristiques, ont leurs propres méthodes de désinformation.



La subjectivité est inévitable dans n’importe quel produit culturel, car une vision de la réalité, pour autant qu’on la veuille neutre et impartiale, ne pourra jamais être totalement objective. La meilleure manière de se rapprocher de l’objectivité est de montrer la réalité depuis différents points de vue, de recueillir l’information sur un même thème auprès de différentes sources et positionnements.



C’est précisément sur ce point que réside un premier et fondamental élément de manipulation des médias : leur prétention à l’objectivité, cette façon trompeuse de nous offrir leur vision de la réalité comme étant la réalité elle-même, en cachant toujours les intérêts qu’ils servent. Pour avoir une lecture critique de l’information, il est essentiel de connaître les intérêts auxquels répondent celles et ceux qui nous la transmettent.



La « réalité virtuelle » construite par les médias est donc partielle et biaisée. En général ceux-ci couvrent en priorité les points de vue de celles et ceux qui détiennent les pouvoirs politique et économique (entreprises, grands partis politiques, gouvernements, grands syndicats, etc.) ; par contre l’optique, les valeurs, les opinions et les intérêts des jeunes, âgé-e-s, travailleureuses, malades, étudiant-e-s, prisonnier-e-s, femmes, immigré-e-s, administré-e-s, organisations populaires,... sont presque toujours tus, marginalisés ou déformés.



La désinformation n’est pas toujours systématique, préparée et écrite de manière consciente et contrôlée. La complexité du processus d’élaboration de l’information, et le vaste champ duquel on la recueille, font souvent de la désinformation le fruit de l’incompétence du ou de la journaliste, par méconnaissance d’un sujet, par manque de temps et d’espace, par préjugés, par application de schémas de travail trop simplistes ou sensationnalistes, etc. Mais il existe de nombreux autres cas de campagnes de désinformation qui répondent à des intérêts économiques ou politiques clairs, du média ou des entreprises qui le financent et le soutiennent.



La grande majorité des nouvelles sont diffusées par des agences de presse internationales. Celles-ci, dès le départ, sélectionnent une petite partie de l’information reçue, et en rejettent 90%. Autrement dit, ce qui vient à notre connaissance n’est qu’une petite fraction de ce qui se passe dans le monde. Il est donc nécessaire de savoir quels sont les critères de sélection utilisés pour la discrimination de l’information et à quels intérêts ils peuvent répondre.



N’oublions pas que la plupart de ces agences sont des grandes entreprises nord-américaines, européennes et japonaises, en général étroitement liées à d’importants groupes financiers en contact direct avec les gouvernements des pays auxquels ils appartiennent. Logiquement, ils n’ont pas intérêt à ce que se produisent des changements sociaux, ni bien sûr à faire connaître des nouvelles et des situations qui mettent en évidence les dangers et les aspects négatifs du système ou qui remettent en cause sa validité.



Mais ces agences ne sont pas les seules à avoir une influence sur l’information (elles n’en sont que le premier filtre) ; il y a aussi les banques qui financent les médias, les corporations qui possèdent ces médias, les entreprises qui ont des actions ou qui alimentent le journal à travers la publicité. Il ne s’agit d’ailleurs pas que d’entreprises : par exemple, l’Etat espagnol lui-même est l’annonceur qui apporte le plus d’argent aux médias nationaux espagnols, par le biais de publicités (payées avec l’argent public) ; de cette manière indirecte, il peut « punir » ou « récompenser » les médias favorables ou adverses.



Enfin, la ligne idéologique même des journalistes, des rédactrices et des rédacteurs en chef, c’est-à-dire leurs préjugés, leurs intérêts corporatifs, leur excessive spécialisation, leur fidélité à l’entreprise et leur tendance à l’auto-censure, influencent aussi l’orientation de l’information.



La désinformation procède au travers de différents filtres et biais, sans qu’aucun d’entre eux en particulier, sinon l’ensemble du processus, soit la cause d’une information manipulée, déformée, et même souvent consciemment altérée. Ce n’est donc pas seulement dans ce qui est publié que réside la désinformation, mais aussi dans la manière dont c’est publié.



De temps en temps apparaissent des articles critiques et discordants dans les médias. Mais en règle générale ils ne représentent rien de plus que des « fissures contrôlées », qui donnent de la crédibilité au média, en le dotant d’une apparence de pluralité et d’indépendance, et qui sont contrastés par une avalanche d’informations de sens contraire (qui répondent aux différents intérêts du pouvoir) ou par une présentation qui leur donne un caractère lointain ou anecdotique. De plus, la majeure partie de cette information discordante, réellement critique, apparaît sous forme « d’opinion » (chroniqueurs et chroniqueuses, courrier des lecteurs, etc.), ce qui relativise leur importance.



Ce dossier ne se concentrera pas sur les causes ou les origines de la désinformation (structure commerciale du processus médiatique, intérêts politico-économiques, etc.) mais sur les formes par lesquelles cette désinformation se déploie sur le papier, derrière l’apparence d’objectivité et d’exhaustivité d’un journal. C’est pour cette raison que nous l’avons sous-titré : « manuel de lecture critique de la presse ». Parce qu’au delà des inquiétudes théoriques, ce qui nous guide dans ce travail est un besoin concret d’outils pour l’analyse critique.



Les techniques de manipulation qui sont recueillies ici ne sont que quelques-unes des gouttes d’eau d’un courant entier qui déguise la réalité. Malgré tout, nous considérons important d’apprendre à nous défendre des médias, à voir ce que cache leur façade (« lire entre les lignes « ) pour, au bout du compte, poser l’exigence et la nécessité d’une information au service de nos intérêts, et non contre ceux-ci.



Le présent dossier est structuré en trois parties. Dans la première nous verrons comment s’organise et se hiérarchise l’information dans un journal (sections, taille...), le contexte dans lequel sont présentés les articles et comment ceux-ci sont agencés. Dans la seconde partie nous analyserons le langage écrit, photographique et statistique, c’est-à-dire la forme dans laquelle une information nous est présentée, le style narratif, l’utilisation de guillemets, d’adjectifs, etc. Et dans la troisième et dernière partie du travail nous étudierons le contenu des articles : leur provenance, leur falsification, les sujets traités, ceux qui sont omis et ceux qui sont sur-dimensionnés. Suit une annexe avec des articles concrets qui illustrent les points et idées exposés. (...)



Suite de l'article : infokiosques.net


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