Société (+ PLUS)

La théorie du complot, mythe politique moderne

La croyance à l’action invisible et la manipulation générale de forces cachées est le mythe politique moderne, typique d’une société parano.



« Société Parano » est d’ailleurs le titre d’un essai de la sociologue française Véronique Campion, dans laquelle elle relativise la capacité de nuisance des thèses conspirationnelles. Celles-ci cessèrent d’être en vogue après la seconde guerre mondiale, compte tenu de leur conséquenses désastreuses, comme dans le cas du soi-disant complot judéo-maçonnique.

Par contre les années 70 et 80, avec le goût de l’ésotérisme, redonnèrent un regain d’intérêt à la culture de la conspiration. Les extraterrestres, les soucoupes volantes fournirent quelques idées aux amateurs de complots universels : « Tout est lié », « Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être » etc etc.



Ces théories avaient d’ailleurs un petit côté divertissant, selon Véronique Campion, une partie des auteurs des théories ne se prennent pas vraiment au sérieux, ont surtout envie de divertir le public.



C’est d’ailleurs ce qui se passe avec le roman de Dan Brown, il a brouillé a dessein la frontière entre fiction et réalité, procédé qui s’est avéré des plus efficaces. Ce procédé littéraire est toutefois vieux comme le monde, et la sociologue de rappeler les œuvres d’Eugène Sue, du « Balsamo » de Dumas, ainsi que le « Manuscrit trouvé à Saragosse ».



Le mélange fiction-réalité est d’ailleurs très en vogue actuellement avec les « docudrames » qui abondent à la télévision (Rome, Hannibal, les gladiateurs, Pompei pour ne citer que les plus connus).



Pour la sociologue la capacité de nuisance des théories conspirationnelles est plutôt limitée, la plupart des gens font la part des choses ; on peut évidemment lire qu’on nous cache des choses sur le suaire de Turin, ou d’autres sujets, mais cet engouement conspirationniste est une simple bulle de savon qui explosera tôt ou tard. A la question sur l’Eglise catholique qui prend cet engouement comme une menace réelle, Véronique Campion y voit la preuve que l’Eglise explique très mal sa propre histoire ; ce manque d’éducation la fragilise.



Comment une fiction, soi-disant fondée sur des recherches historiques, a pu attiser à ce point le doute sur les événements que défend l’Eglise ? Ainsi que l’explique le philosophe et politologue Pierre-André Taguieff dans son dernier livre « La foire aux Illuminés », la nouvelle culture populaire mondiale est marquée par la théorie du complot, une propension à croire que tous les événements sont voulus et réalisés par des groupes occultes et secrets afin d’asservir et exterminer les représentants d’une civilisation.



C’est le caractère manichéen de la théorie du complot qui explique son succès, d’après le philosophe ; les individus sont plus angoissés et cherchent des explications qui leur donneront l’illusion de comprendre et maîtriser la réalité ; l’érosion du christianisme n’a pas favorisé l’émergence d’un athéisme lumineux mais a fait surgir une nouvelle mythologie sans colonne vertébrale.



Le théologue Bernard Sesboüé, qui a consacré un petit ouvrage au « Code Da Vinci » (Le Da Vinci Code expliqué aux lecteurs), explique que la société occidentale semble avoir une réaction viscérale contre les instances religieuses qui a prétendu régenter les meorus et imposer sa moralité pendant des siècles. Ce phénomène, appelé « abréaction » est également suscité par le décalage constaté entre la place des femmes dans les sociétés occidentales et le peu d’importance de cette même place au sein de l’Eglise.



Les craintes de ces églises sont fondées sur le succès du livre de Dan Brown en raison de la réaction plus que favorable du public vis à vis de l’une des thèses du livre, à savoir le mariage du Christ avec Marie Madeleine, qui auraient eu une descendance. D’après un sondage aux Etats-Unis et au Canada, les personnes interrogées pensent que la mort du Christ sur la croix est une légende et que Jésus était effectivement marié. La logique historique voudrait effectivement que Jesus ait été marié et père de famille puisque la coutume juive imposait des fiançailles dès l’adolescence.



Pour le sociologue Frédéric Lenoir, le livre de Dan Brown véhicule la thèse du complot de l ‘église contre les femmes. Même si la démonstration de l’écrivain n’est guère convaincante, dit Frédéric Lenoir, la question qu’il pose sur le statut des femmes dans l’Eglise primitive est bonne.



En effet, pourquoi – alors que Jesus était entouré de femmes dans les évangiles – celles-ci disparaissent dans les actes des apôtres et les épîtres de Paul. Les disciples de Jesus ont rompu avec le regard que leur maître portait sur les femmes et à sa mort, le réflexe machiste propre au bassin méditerranéen a repris le dessus. Les femmes se sont émancipées, l’Eglise n’a pas pas évolué ; le contraste est frappant, toujours selon Lenoir.



Même si le roman « Da Vinci Code » a suscité de vives réactions (non fondées) de la part des Eglises qui y voient un complot qui gagnera tous les esprits ( !), il ne faut pas voir dans ce roman un « Evangile selon Dan Brown » ; en piochant dans l’histoire, les lecteurs du best-seller pourront se rendre compte que le livre est truffé d’erreurs.



D’autres théories de complots ont elles aussi la peau dure et font recette, Hollywood le sait bien : JFK, Les extraterrestres qui sont parmi nous, les X-files, le complot ayant mené à l’assassinat du pape Jean-Paul Ier, ainsi que le complot Apollo 11 (on n’a pas marché sur la lune en 1969, tout n’aurait été qu’une vaste mise en scène pour draîner des fonds et gagner la guerre psychologique contre les Russes, comme dans le film Capricorn One, etc etc.)



Résumé des articles de Ricardo Gutiérrez, Luc Debraine et Patricia Briel, parus dans la rubrique « Temps Fort » du journal Le Soir du 17 mais 2006.


Imprimé depuis Cafeduweb - Archives (http://archives.cafeduweb.com/lire/6366-theorie-complot-mythe-politique-moderne.html)