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Nigel Nicolson, le gentleman de Sissinghurst




En me promenant tout récemment dans les merveilleux jardins de Sissinghurst Castle, l’envie m’est venue d’écrire un petit hommage à son dernier propriétaire, Nigel Nicolson, l’un des deux fils de la flamboyante Vita Sackville-West et Sir Harold Nicolson, tous deux écrivains, tous deux fondateurs du GROUPE DE BLOOMSBURY.



Nigel Nicolson, écrivain et éditeur, est mort en septembre 2004 à l’âge de 87 ans, après avoir eu une vie bien remplie et cependant fort discrère, à l’image même de cet homme un peu timide qui aimait s’installer sous la tonnelle du jardin pour y lire et écrire et dont l’un des plaisirs était de saluer les visiteurs de sa fenêtre et de parfois en inviter à prendre le thé avec lui.



Pourtant, lorsque Nigel découvrit Sissinghurst pour la toute première fois à l ‘âge de 13 ans, un jour de pluie de 1930, il n’y vit que ruines et quelques rangées de choux dans ce qui était supposé être un jardin. Sa réaction fut bien celle d’un jeune ado face à une excentricité parentale ; il regarda sa mère et lui demanda calmement : « Nous n’allons pas vraiment être obligés de vivre ici n’est ce pas ? ». Non seulement son frère, ses parents et lui-même durent y vivre, mais ils y vécurent jusqu’à la fin de leurs vies.



Le livre qui rendit Nigel Nicolson célèbre est le très controversé (du moins lors de sa publication) « PORTRAIT OF A MARRIAGE » où il relate la vie de ses parents, Vita Sackville-West et Harold Nicolson. Le couple vivait ce que l’on appellera plus tard un « open marriage » (le mariage « open »), tous deux étant bisexuels, ils se donnaient une liberté totale dans le couple tout en restant fort unis. Un tollé général accueillit ce livre parmi la société que fréquentait Nicolson, considérant ce livre comme une véritable trahison familiale, alors que pour lui il s’agissait seulement de rendre un hommage à deux êtres extraordinaires, vivant une relation très peu conventionnelle bien dans la ligne du Bloomsbury Group.



Dans l’autobiographie qu’elle a laissé à sa mort en 1962 et également selon son fils, Vita Sackville-West a toujours considéré que son mariage fut l’un des moins orthodoxes et des plus heureux qui fut.



Nigel Nicolson était le fondateur des éditions Weidenfeld et Nicolson ; il est également l’auteur de nombreuses biographies, dont celle de Mary CURZON qui lui valut le prix Whitbread. Il a également consacré un très joli livre à Virginia Woolf.



Il naquit à Londres en janvier 1917 , lorsqu’il fut âgé de trois ans, la famille emménagea à Long Barn, vieille ferme du 15ème siècle située près de Knole dans le Kent, tout près du domaine familial que chérissait sa mère. En 1932, les Nicolson emménagèrent définitivement à Sissinghurst Castle dont la remise en état et la création des jardins occupèrent ses parents jusqu’à la fin de leurs existences. De sa mère, Nicolson a le souvenir qu’elle avait des difficultés à exprimer ses émotions et était plutôt distante avec eux, du coup, Nigel et Ben passèrent leurs jeunes années en compagnie de nannies et gouvernantes.



Nigel Nicolson fit la connaissance du Bloomsbury Group lors d’un dîner où on le recruta pour faire le 14ème convive ; il fut placé face à Ottoline Morrell, toujours habillée très originalement et portant l’un de ses célèbres chapeaux à plumes ; le jeune garçon fut convaincu d’avoir une sorcière en face lui, d’autant plus que Clive Bell le lui confirma. Nigel, comme tous les enfants de cet âge, prit la chose très au sérieux, l’humour des adultes étant parfois difficile à comprendre !



Âgé de 11 ans, il devint le compagnon de « chasse au papillon » de Virginia Woolf qui à l’époque écrivait son très beau « Orlando », un conte fantastique directement inspiré par Vita.



Bien des années plus tard, Quentin Bell proposa à Nigel Nicolson d’éditer la correspondance de Virginia Woolf, en collaboration avec Joanne Trautmann ; le résultat en furent six volumes de la correspondance de l’écrivaine et dont la parution s’échelonna de 1975 à 1980.



A l’âge de 8 ans, Nigel entra dans ce qu’il qualifiera de « camps de concentration pour jeunes garçons », à savoir le pensionnat. Il alla d’abord à Summerfields, Oxford, et ensuite rejoint son frère Ben à Eton.

A Oxford, la timidité de Nicolson lui valut une première année plutôt misérable, mais ensuite il sortit de sa coquille et prit la parole dans des syndicats tout en organisant une branche universitaire pour le parti de son père, à savoir le parti travailliste.



Point noir dans la biographie de Nigel Nicolson est le fait que dans les toutes premières années du fascisme, il fut tenté par l’expérience. Heureusement, son attitude changea et la crise de Munich lui ouvrit définitivement les yeux.



N’ayant pu s’engager dans la R.A.F., il devint un Officier Cadet de réserve et à la déclaration de guerre fut engagé chez les Grenadier Guards. En 1942 il combattit dans la campagne de Tunisie. En 1944 sa brigade fut envoyée en Italie, lors du débarquement, il se trouvait en Autriche.



Finalement il fit la connaissance de George Weidenfeld, Juif d’origine viennoise, avec qui il fonda Weidenfeld & Nicolson grâce à l’argent que lui rapporta la vente du domaine que lui légua sa grand-mère maternelle, Lady Sackville.



A la même époque, il entra dans le monde politique et devint parlementaire pour le parti conservateur de Bornemouth. Il fut le seul membre du parti conservateur à appuyer la loi pour la suppression de la peine de mort proposée par Sidney Silverman ; il fut aussi l’un des seuls membres du parti Tory à défendre la position de son parti dans la crise de Suez. Les conservateurs de Bornemouth parvinrent finalement à se débarasser de lui en 1959 ! Entretemps, Nigel Nicolson s’était marié et le couple avait deux enfants.



Nigel Nicolson eut d’autres difficultés à affronter lorsqu’il décida de publier le livre de Nabokov « Lolita » ; il considéra cela comme un test afin de mettre en lumière l’absurdité de la loi sur la censure, mais il ne défendit pas le livre avec la même vigueur que Lord Weidenfeld ; en fait, Nicolson n’arrivait pas à décider si le livre était de la pornographie pure et simple ou s’il s’agissait réellement d’un sujet totalement original pour l’époque.



L ‘un des derniers hommages de Nicolson à ses parents fut la publication de la correspondance échangée par ses parents en 1992. Vers la fin de sa vie, Nigel Nicolson s’était tourné vers le journalisme et ses articles parurent régulièrement dans le Spectator et dans sa colonne « Time of My Life » dans le Sunday Telegraph.



Nigel Nicolson était un homme un peu timide mais totalement non-conformiste ; il était d’une honnêteté frisant l’entêtement et faisait toujours preuve d’un grand courage moral, prenant position pour la vérité quel qu’en soit le prix, une de ses plus nobles qualités.



A la mort de leur père, Ben et Nigel Nicolson firent don de Sissinghurst au National Trust. C’est l’un des plus beaux jardins du Kent, l’une des propriétés les plus originales à y découvrir, un plaisir pour les yeux et l’esprit.



Biographie inspirée par des articles dans The Telegraph UK et The Economist.


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