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Explosion du plus grand détecteur de neutrinos

En juin 1998, une équipe internationale de scientifiques démontrait que le neutrino, probablement la particule la plus abondante de l’univers, possédait une masse. Cette découverte capitale avait été effectuée à l’aide du Super Kamiokande, un détecteur géant installé au Japon...


Le 12 novembre dernier, le Super Kamiokande a été complètement détruit dans une explosion dont les causes ne sont pas encore connues, heureusement sans faire de victime.


Le neutrino


Le neutrino est une particule de charge nulle, et dont la masse a longtemps fait l’objet de débats passionnés de la part des chercheurs et des astronomes : est-elle nulle, ou très faible ? Plusieurs espèces de neutrinos existent, associés aux différents leptons chargés : neutrino-électron, neutrino-muon, neutrino-tau.


L’observation des neutrinos revêt aussi une grande importance dans l’observation et la connaissance du Soleil. De par leur capacité à traverser de grandes quantités de matière sans aucune difficulté, ils constituent les messagers par excellence en provenance directe du cœur de notre étoile, contrairement aux photons qui n’ont aucune chance de nous parvenir depuis ces régions profondes. Un mystère demeure : la quantité de neutrinos observée de la sorte est nettement inférieure aux modèles théoriques admis, sans que l’on puisse attribuer cette différence à la nature profonde du Soleil ou à nos connaissances incomplètes des propriétés de cette particule.


Mais le grand défi des chercheurs, depuis le début des années soixante, était de déterminer si le neutrino avait une masse, et de la quantifier. Cette question n’était pas anodine : on sait que plus de 95% de la masse de l’Univers échappe aux observations. Les neutrinos, particulièrement abondants, pourraient en constituer une bonne partie.


Le Super Kamiokande


A l’échelle du minuscule neutrino, la matière la plus dense est constituée principalement de vide. C’est ce qui explique que cette particule est capable de traverser le plus épais des blindages comme s’il n’existait pas. Un neutrino lancé à travers notre planète n’a de fait qu’une chance infinitésimale d’être intercepté par une autre particule. Dans ces conditions, intercepter ces particules-fantômes relève de la gageure.


Le Super Kamiokande a été construit dans ce but dans une mine de zinc en activité, sous le mont Ikenoyama, au Japon. Il est constitué d’une gigantesque cuve cylindrique en acier inoxydable contenant 50.000 tonnes d’une eau ultra-pure, tellement transparente qu’un rayon lumineux perd la moitié de son intensité au bout de 70 mètres, contre 3 à 5 mètres pour l’eau alimentaire. Les parois de la cuve sont tapissées par 11.200 photomultiplicateurs, composés chacun d’une ampoule en verre de 50 centimètres de diamètre soufflée à la main, recouverte à l’intérieur d’une mince pellicule d’un métal alcalin et dans laquelle règne un vide très poussé. Ces ampoules sont chargées de détecter le rayonnement Tcherenkov induit par les rares collisions d’un neutrino avec un noyau atomique de l’eau.





Kamiokande

Lorsqu’une particule de haute énergie, comme un neutrino, percute un noyau atomique, elle provoque l’apparition d’une particule chargée. C’est cet événement qui est traqué dans le Super Kamiokande. Et il s’agit bien d’un événement : si 60 milliards de neutrinos traversent chaque seconde chaque centimètre carré de notre planète, donc aussi de la cuve du détecteur, le nombre de collisions avec un atome d’eau est d’environ… 5 par jour.


Le mur de la lumière


Sitôt engendrées par la collision, les particules parcourent encore quelques mètres à l’intérieur de la cuve à une vitesse super-luminique. Super-luminique ? Oui, mais pourtant sans contradiction avec la théorie relativiste en vigueur depuis Einstein, pour une raison bien simple : si la vitesse de la lumière est bien de 299792 km/seconde dans le vide, ce que les physiciens dénomment la constante c, cette vitesse retombe aux trois quarts de c environ dans l’eau, donc dans la cuve du Super Kamiokande. La particule énergétique, se déplaçant à la vitesse c, provoque l’apparition d’une onde de choc lumineuse et traîne dans son sillage un cône de lumière à l’image de l’onde de choc sonore d’un avion supersonique. Ce cône lumineux, c’est le rayonnement Tcherenkov.


Cette émission étant très brève, elle projette sur les parois de la cuve une empreinte dont la forme peut être très aisément déterminée par les détecteurs, qui agissent alors comme autant de pixels d’un capteur CCD. Mieux, la forme de cette empreinte permet de déterminer non seulement la direction suivie par la particule, donc la région du ciel d’où elle provient, mais aussi la nature de la particule entrée en collision.


Une première mondiale


Les scientifiques se sont employés à ausculter différentes régions du ciel sur la base d’un ensemble d’environ 5000 collisions enregistrées sur un peu plus de deux ans. En théorie, la répartition entre les trois types de neutrinos devrait être immuable selon qu’on observe la même région du ciel à la verticale, ou en direction du sol, donc à travers la Terre. Et, ainsi qu’ils s’y attendaient (ou l’espéraient), uns différence significative est apparue, inexplicable à moins d’admettre… que les neutrinos se transforment en traversant notre planète.


La transformation d’un type de neutrino en un autre par interaction avec la matière est un phénomène appelé « oscillation », qui met en œuvre les propriétés quantiques des particules, mais surtout, démontre l’existence d’une masse. Dans le cas du neutrino, celle-ci s’avère extraordinairement faible : la cent millionième partie seulement de celle d’un électron. Mais l’abondance de ces particules est telle que cette masse pourrait se révéler une part non négligeable de la masse manquante de l’Univers, traquée depuis des décennies par tous les astrophysiciens.


Le détecteur explose !


12 novembre 2001. Les causes de ce qui paraît bien n’être qu’un accident ne sont pas encore connues. Ce que l’on sait, c’est qu’un des 11200 photomultiplicateurs tapissant la paroi du Super Kamiokande a explosé, entraînant de proche en proche la destruction de la quasi-totalité des détecteurs.


Actuellement, le spectacle est désolant. La gigantesque cuve a été entièrement vidée, révélant l’étendue des dégâts. Yoji Totsuka, le directeur de l’observatoire Kamioka en charge du complexe, a déclaré que le détecteur serait entièrement reconstruit, mais que les travaux prendraient au moins une année. Une nouvelle technologie sera employée, mettant en œuvre des photomultiplicateurs plus puissants mais en nombre deux fois moins élevé, donc plus espacés, rendant pratiquement impossible la répétition de cet accident.


Photo : détail de la paroi du Super Kamiokande avant l'explosion (source Institute for Cosmic Ray Research, University of Tokyo).


Source: notre partenaire :
Futura-Sciences


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