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Le clone, la cellule et les dollars

Non, ce n’est pas tout à fait un clone humain. Oui, il y a un peu de marketing derrière cette annonce spectaculaire.

Alors qu’est-ce que c’est et où va-t-on avec tout ça ?


Tout d’abord, c’est une réussite commerciale et cela seul, déjà, suffit à semer l’inquiétude dans plusieurs milieux.
Car l’annonce du "premier clone humain", faite le dimanche, 25 novembre, n’est en effet pas venue d’un centre de recherche comme l’Institut Roslin, en Ecosse —lieu de naissance de la brebis Dolly, il y a quatre ans- mais des murs d’une compagnie privée, Advanced Cell Technology (ACT), une petite firme de biotechnologie du Massachusetts.


Ensuite, il faut se demander si le mot "réussite" aurait été claironné sur tous les toits s’il s’était agi d’un centre de recherche à but non lucratif: car tout ce qui a été obtenu en effet, ce sont des embryons composés de seulement six à huit cellules, lesquels sont tous morts avant d’avoir dépassé ce stade -donc, avant d’avoir pu produire les fameuses cellules-souches, ce à quoi ces embryons étaient pourtant censés servir.


Dans tous les cas, ce ne sont en effet que des cellules qui ont été clonées, a dû répéter un millier de fois le président d’ACT, Michael West, alors qu’il enfilait les entrevues aux médias comme des perles sur un collier. "Scientifiquement, biologiquement, les entités que nous créons ne sont pas des individus. Ce n’est que de la vie cellulaire. Ce n’est pas de la vie humaine."


Vie cellulaire. Une nouvelle expression qu’il faudra ajouter au vocabulaire ?


Il y a clonage et clonage





Clonage

On connaissait déjà clonage reproductif et clonage thérapeutique. Le premier, c’est celui de la brebis Dolly, et celui-là est honni par la quasi-totalité de la communauté scientifique: il consisterait à créer un véritable être humain, qui serait le double d’un autre. Le clonage thérapeutique, au contraire, c’est ce que ACT tentait d’accomplir: il vise seulement à prélever des cellules saines, à les cloner (on prend leur ADN, et on transfert celui-ci dans l’ovule de la mère du futur clone), et on espère que ces "clones" produiront suffisamment de cellules pour servir "d’usines à organes" -en vue de transplantations, par exemple.


On ne se retrouve donc qu’avec une masse informe de cellules, des cellules d’embryons, qu’on espère pouvoir manipuler pour leur "ordonner" de se transformer soit en poumon, soit en rate, soit en morceau de peau —c’est le principe des cellules-souches, qui sont des cellules qui ne se sont pas encore spécialisées, et dont les scientifiques espèrent pouvoir un jour contrôler le développement (sur les cellules-souches, voir ce texte).



Et c'est cela qu’ACT tentait d’accomplir. Son but, insiste son président, n’est donc nul autre que d’utiliser des embryons comme sources de cellules-souches —et non de faire naître des clones.


Bref, un beau rêve médical —car pour l’instant, ce n’est qu’un rêve- que connaissent déjà ceux qui suivent le dossier des cellules-souches depuis trois ans. Transplantations, Parkinson ou Alzheimer (cloner des cellules saines de votre cerveau pour remplacer les cellules malades): voilà où se situe le beau rêve.


Mais un cauchemar pour les autres : car l’embryon en question, c’est tout de même un embryon humain.






Foetus


Comment ça fonctionne


Jusqu’ici, les expériences sur des cellules-souches humaines s’étaient faites sur des embryons avortés. Et si ce n’est pas la première fois qu’un centre de recherche affirme avoir lui-même cloné des cellules humaines pour en arriver à un embryon de quelques jours —des Sud-Coréens avaient affirmé avoir accompli cela en décembre 1998, mais cette affirmation avait toujours été mise en doute- c’est la première fois que l’affirmation semble solide. A tout le moins, accréditée par un centre de recherche privé, basé à Worcester, Massachusetts (non loin du MIT, avec qui il a des contrats), dont la crédibilité et l’expérience en matière de clonage n’est plus à démontrer.


En juillet, ACT avait reconnu avoir payé discrètement des jeunes femmes de 3000 à 5000$ pour obtenir des ovules et s’en servir pour tenter de créer de telles cellules-souches —bref, du clonage thérapeutique. L’aboutissement de ces expériences, ce sont donc les fameux embryons de six à huit cellules dont il est question ici, qui seraient apparus sous les microscopes à la mi-octobre. Ces résultats paraissent aujourd’hui dans la version électronique du Journal of Regenerative Medicine.


Deux méthodes ont été utilisées : l’une, la même qui a conduit à la naissance de Dolly, consiste donc à inséminer avec un spermatozoïde l’ovule où ont été introduits les gènes de l’individu que l’on souhaite cloner ; 11 tentatives se sont soldées par un échec. L’autre méthode, appelée parthénogénèse, a consisté à stimuler chimiquement l’ovule pour l’amener à se diviser lui-même, donc sans aide du spermatozoïde ; 22 tentatives ont été réalisées ; la plupart des ovules sont morts après un jour ou deux ; dans six cas, ils se sont effectivement divisés pendant cinq jours —jusqu’à former un maximum de huit cellules, mais jamais de cellules-souches- avant de mourir.


Cette expérience avait été rapportée par le New Scientist en octobre : une autre compagnie, en Grande-Bretagne, PPL Therapeutics, y travaille également. ACT avait déposé il y a quelques mois un brevet pour des expériences semblables menées sur des primates.


Nous sommes très excités


Dans ces expériences de parthénogénèse, les embryons n’étaient de toutes façons pas viables, un embryon ayant besoin de gènes du mâle (ceux que contient le supermatozoïde) pour se développer normalement. Par conséquent, puisque ces embryons n’avaient aucune chance de devenir de véritables individus, la compagnie espérait qu’il n’y aurait aucune objection éthique au travail qu’elle accomplissait, a expliqué le Dr Michael D. West, directeur général d’ACT et, à ce titre, principal signataire de l’article.


Les résultats sont très excitants, a renchéri Robert Lanza, vice-président du développement médical et scientifique chez ACT. Le nom de Robert Lanza semblera familier aux journalistes, puisqu’il était aussi l’un des principaux signataires, deux jours plus tôt, de cette étude qui affirmait, un peu trop fort au goût de certain, un " succès " dans le clonage de vaches (voir ce texte). Avec ces deux annonces spectaculaires en quelques jours, la compagnie Advanced Cell Technology s’auto-proclame donc, à tort ou à raison, comme le leader des compagnies commerciales engagées dans la course au clonage thérapeutique. De quoi attirer des légions d’investisseurs...


C'est un échec complet


Très excitants ? Très inquiétants, ont plutôt réagi les commentateurs. Dont le sénateur américain Tom Daschle: "c’est déconcertant ; je crois que ça s’en va dans la mauvaise direction", a-t-il déclaré dimanche en ajoutant du même souffle... qu’il ne comprenait pas très bien ce que ACT venait d’accomplir !


"C’est un échec complet, s’insurge dans les pages du New York Times le Dr George Seidel, expert du clonage à l’Université d’État du Colorado, puisqu’ils ne sont même pas parvenus à produire des cellules-souches, et qu’ils ne semblent même pas savoir pourquoi!


Ces embryons ne semblent même pas s’être correctement développés, explique, depuis l’Ecosse, Ian Wilmut, de l’Institut Roslin: après cinq jours, ils auraient dû être composés de 60 cellules, et non de seulement six ou huit. Ce qui indiquerait que quelque chose n’a pas fonctionné du tout, et que les cellules-souches étaient encore loin de leur portée. "Il est presque impossible de savoir à quel point ils en sont rendus (dans la création de cellules-souches) mais il n’y a rien dans ce rapport qui indique que la technique pourrait être mise au travail immédiatement."


Quoique si peu, c’est peut-être d’ores et déjà trop, rétorque sur les ondes de la BBC Patrick Dixon, éthicien du clonage. La technologie avance à grands pas, et qui sait si ce n’est qu’une question de temps avant qu’un véritable clone humain ne naisse. Les risques potentiels sont énormes, incluant des défauts génétiques inattendus ou des malformations à la naissance —comme pour les animaux clonés. Une législation s’impose de toute urgence —à condition que les politiciens veuillent bien faire l’effort de comprendre de quoi parlent les scientifiques.


Il est intéressant de souligner qu’en dépit de toute la controverse qui a frappé les Etats-Unis plus tôt cette année sur le clonage et les cellules-souches, cette expérience d’ACT, même si elle porte le nom de clonage, n’est pas illégale. Parce que ce qui est illégal aux Etats-Unis, c’est de mener des expériences sur des embryons humains... si on travaille dans un laboratoire financé par le gouvernement. En revanche, s’il s’agit d’une compagnie privée, pas de problèmes au pays de George Bush...


Pascal Lapointe


Source & infos complémentaires :
Sciencepresse



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