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Le bogue du décret «amiante»: Imbroglio politico-administratif

Le décret de 1996 qui interdit la vente de voitures d’occasion de plus de cinq ans aurait supprimé des milliers d’emplois !

Il faut complimenter l’armée française, sans laquelle ce décret insolite qui interdisait, à partir du 1er janvier, la vente de toute voiture de plus de cinq ans serait passé inaperçu...



Et avec lui le spectacle réjouissant d’un Etat dénué de tout bon sens, tour à tour pointilliste et brouillon, obligé de sonner la retraite devant les réalités économiques et politiques. Rappel des faits: le 26 décembre 1996, le «Journal officiel» publie un décret signé d’Hervé Gaymard, secrétaire d’Etat à la Santé du gouvernement Juppé, qui interdit toute fabrication et commercialisation de produits contenant de l’amiante à compter du 1erjanvier 1997. Deux dérogations sont accordées, jusqu’au 31décembre 2001, pour… les vêtements des pompiers et les voitures: l’amiante est longtemps entré dans la fabrication des plaquettes de frein, des disques d’embrayage et dans les joints de culasse, soumis à de fortes températures.Ministère des Transports, de l’Industrie, de l’Environnement et de la Santé, professionnels de l’automobile et, bien sûr, particuliers: personne ne se souvenait de ces quatre lignes perdues dans ce décret oublié.


Mais un soldat inconnu veillait sur le règlement: plus question pour l’armée de confier aux Domaines la vente de vieilles Jeep prisées par les collectionneurs. Ceux-ci ont donc prévenu Claude Delagneau, président de la Fédération française des Véhicules d’Epoque (FFVE), que, dorénavant, les Jeep partiraient directement à la casse.


Delagneau se procure le décret et tombe du ciel: c’est une bombe enfouie.Car ce décret est évidemment inapplicable. Il se vend chaque année plus de 5 millions de voitures d’occasion. Sur 28 millions de voitures en circulation, près de 20 millions ont été immatriculées avant 1997, dont on ne sait pas combien contiennent de l’amiante. Rien n’a été prévu pour le détecter, en particulier lors des contrôles techniques obligatoires. Aussi, interdire la vente de vieilles voitures d’occasion, c’est non seulement mettre au chômage les milliers de garagistes, mais c’est aussi donner un coup d’arrêt aux ventes de voitures neuves, qui, quatre fois sur cinq, ne sont possibles qu’avec la reprise d’un véhicule ancien. Et donc provoquer des dizaines de milliers de suppressions d’emplois début 2002!


Folle sur le plan économique, la mesure est, de plus, parfaitement injuste, puisqu’elle toucherait les couches les plus défavorisées, celles qui ne peuvent accéder à l’automobile que par le marché de l’occasion. Et elle est, de surcroît, inepte sur le plan sanitaire. Le seul danger éventuel vient des plaquettes de frein, qui peuvent diffuser dans l’atmosphère des fibres d’amiante. Mais, au bout de cinq ans, elles ont été changées. Tandis que les disques d’embrayage et les joints de culasse sont parfaitement enchâssés dans les moteurs.


Les changer coûterait entre 5000 et 15000 francs par voiture et aurait plus d’inconvénients sanitaires que d’avantages.Ce bogue a aussitôt déclenché une jolie polémique électorale. Porte-parole du PS, Vincent Peillon a mis en cause Alain Juppé: «Qui a pris ce décret? Dans quelle concertation? Avec quel souci de ceux qui sont les plus modestes?» A quoi Juppé a aussitôt répondu que «le délai de cinq ans» avait justement été prévu «pour que l’on puisse discuter des modalités d’application (…), moyennant quoi, à partir de 1997, on a complètement enterré le dossier».


Vaine querelle: cette affaire montre surtout vers quelles aberrations peut conduire le prurit réglementaire associé aux excès du principe de précaution. Une histoire bien française qui sera vite oubliée car le décret, bien entendu, va être modifié et son application différée, en tout cas après la prochaine présidentielle.


Par Airy Routier pour:
nouvelobs


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