Comme s'ils n'avaient attendu que cela ! A peine connue la nouvelle du crash de Charm el-Cheikh, politiques et équipes de télé fondirent sur le malheur, pour entraîner les victimes dans un ballet vertigineux, et très vite écoeurant.
Ministres décomposés, émotion gouvernementale balançant de l'ostensible à l'ostentatoire, envoyés spéciaux devant toutes les grilles possibles. Car les rédactions étaient au courant avant les familles rassemblées à Roissy, ce qui valut les obscènes images de ces familles attendant l'avion, assorties du commentaire : «A cet instant, ils ne savent pas encore.»
De cette profusion se dégage une hiérarchie intangible: d'abord, les victimes, les saintes victimes. Et leur corps, au centre de tous les embarras des premiers instants. Comment faire comprendre, sans le dire, que ces corps sont en bouillie, en charpie, pulvérisés, «non identifiables» à jamais, c'est-à-dire perdus pour le deuil ? Ce fut un concours de circonlocutions sur l'ADN, la dentition, les difficultés d'identification. Le cyclone fondit ensuite sur les «proches», les vivants, ceux qui restent. Les caméras tournèrent et retournèrent les villages tourneboulés, les rues et les impasses atterrées, les collègues effondrés. Heureusement, le vol vers Charm el-Cheikh (il va partir, il va se poser, il vient de se poser) allait permettre «à ceux qui le désirent» de «faire le deuil»...
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