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Télévision, le contrôle social chez soi

La moyenne quotidienne de télévision par Français est actuellement de 3 heures 20. Après une journée de travail et plus de trois heures devant le poste, le temps consacré à la vie sociale, civique, à la création... ne peut être que marginal, sinon inexistant. La critique de la télévision ne peut donc se limiter à son contenu et doit le dépasser pour s’interroger sur le média en tant que tel.



La télévision constitue un miroir pour notre société. Le briser ou le condamner ne changerait pas le visage de notre civilisation. " Changeons, et la télé changera ". Eteignons-la, et la vie commencera.



Mais vivre, c’est difficile. Il est tentant de chercher à échapper à la condition humaine. Cocaïne, héroïne et haschisch demeurent des moyens prohibés pour atteindre des paradis artificiels. Prozac, alcool et télévision permettent, eux, de fuir la réalité sans enfreindre la loi.



Si nous devions classer comme drogue un produit synthétique inhalé entraînant une dépendance, la télévision n’entrerait pas dans cette catégorie. Pourtant, sans apparente action chimique, la télévision conduit à des phénomènes d’assujettissement comparables à ceux liés aux drogues dures. Voici plus de dix ans, une équipe d’un hebdomadaire de télévision proposait dans un quartier à des volontaires de rendre leur poste pendant une semaine. Seule une minorité de candidat-e-s parvinrent au bout des sept jours sans avoir récupéré leur précieuse boîte. Certain-e-s ne tinrent pas une journée. D’autres, honteux et honteuses, louèrent des postes en cachette.



La télévision a ceci de particulier par rapport aux autres médias qu’elle laisse son spectateur totalement passif. A aucun autre moment de notre existence, nous ne sommes aussi inertes, même dans nsotre sommeil, car les rêves y sont le produit de notre imagination. Contrairement au cinéma, où la lumière est projetée sur une toile, le poste de télévision la projette directement sur la spectatrice ou le spectateur. Le scintillement de l’image engendre un phénomène hypnotique.



Nous regardons la télévision. Nous l’écoutons peu. L’image y est reine, et la forme prime tout. Le pouvoir y appartient aux apparences. Ne pas être conscient de cette règle de base peut conduire à desservir son propos pour celui qui est amené à y figurer. A la télévision, on est manipulé ou on manipule.



La télévision est un prisme. Elle nous évite de réfléchir, de nous poser des questions existentielles. Elle nous évite de les accepter det de les affronter. A force de fuir dans l’illusion au travers de cette glace, nous devenons incapables d’affronter la réalité qui se trouve derrière la fenêtre. C’est en fin de compte un véritable refus de la vie.



Travailler, dormir et... regarder la télévision



Après l’exercice d’une activité professionnelle et le sommeil, regarder la télévision constitue la troisième occupation des occidentales et des occidentaux. Elle est, et de loin, la première des activités domestiques. On y passe en moyenne trois heures par jour en France, quatre heures aux Etats-Unis.



Au fil des décennies, la télévision a pénétré dans la plupart des foyers. En 1970, en France, 32% des ménages ne possédaient pas de poste ; en 1977, 13 % ; aujourd’hui ce chiffre est tombé à 5 %. Aucun appareil ménager n’avait réussi à s’introduire dans les foyers aussi rapidement et aussi massivement. D’ailleurs, sa présence ne surprend plus du tout ; bien au contraire, c’est son absence qui étonne, et qui suscite parfois des inquiétudes. La grande majorité de la population ne se pose même plus la question de savoir pourquoi avoir un téléviseur. Les interrogations portent plutôt, pour une extrême minorité, sur l’intérêt de ne pas en avoir un.



Cette conquête des esprits se traduit aussi par une présence physique particulière. Dans la plupart des foyers, le téléviseur a un statut exceptionnel. Il trône, à la meilleure place, dans la pièce principale. L’agencement de la salle de séjour se fait en fonction du poste et non pour former un cercle convivial. Cette pièce, à l’origine lieu de rencontre structuré pour permettre l’échange entre individu-e-s, s’est transformée en salle de projection. Cette configuration se retrouve partout où la télévision s’est imposée. Le philosophe Jean-Jacques Wunenburger le constatait (1) : "Premier agent de la mondialisation des moeurs, elle suscite un ensemble quasi rituel de comportements uniformes, quels que soient les environnements et les messages visuels : disposition du mobilier, assemblée de spectateurs et spectatrices orienté-e-s vers la source lumineuse, horaires contraints par un spectacle généralement programmé à heure fixe, etc." Beaucoup allument leur télévision comme on ouvre un robinet d’eau, par simple habitude. En 1990, une étude nous apprenait "qu’elle était si intégrée au quotidien que le fait d’allumer ne paraît pas constituer dans la majorité des foyers une réelle décision correspondant à un véritable choix ! D’ailleurs, même les moments censés favoriser la discussion sont altérés ; dans une enquête, 62,8% des enfants déclaraient que la télévision fonctionnait pendant le dîner. La télévision reste parfois allumée en permanence, des gens la regardent, sans en avoir la volonté, par automatisme. Centralité, omniprésence, diktat, la place du petit écran a des conséquences dramatiques.



La télévision isole, renferme, aliène



Elle a largement participé au mouvement de repli sur soi qui s’est développé depuis l’avènement de la société de consommation. On ne peut cependant pas la considérer comme l’unique responsable de cette atomisation. Le triomphe du libéralisme, et ses effets sur la place et le rôle de l’individu-e dans une société explique ce repli sur la sphère privée. Les effets de ces processus d’éclatement ont réduit les liens sociaux, qui ne se tissent plus que dans le cadre du travail, et qui, avec l’émergence de la production post-fordiste, disparaissent totalement. La plupart des individu-e-s s’enferment dans leur cocon, protégé-e-s du reste du monde, comme l’explique le sociologue Daniel Bougnoux : "Nous demandons à la télé de nous mettre dans un état de relaxation qui permet sans bouger de chez nous et sans avoir à faire face à l’horrible monde et aux horribles "autres", de vivre ensemble séparément, d’avoir le monde chez soi. Cette vitrification de tout ce qui peut arriver (la télé est d’abord une vitre) permet d’avoir la jouissance de la stimulation sensorielle mais de façon filtrée et amortie." Enfermé-e dans son petit confort, captivé-e par la tube cathodique, la passivité s’installe.



Le lien qui unit le/la téléspectateur/rice à son téléviseur est de nature hypnotique. Regarder cette lucarne bleutée met en sommeil l’intellect, ramollit physiquement, et contrairement à ce que l’on pense communément, ne repose pas du tout. Elle fonctionne comme un anesthésiant dont on dépend très rapidement.



Le téléspectateur ou la téléspectatrice perd sa capacité, son pouvoir personnel de réflexion. Si on se réfère à la définition du terme aliénant : "l’individu perd la libre disposition de lui-même" (Petit Robert), on peut affirmer que la télévision aliène. Son fonctionnement coupe systématiquement l’individu-e de sa pensée.



Le flux continuel d’images interrompt et empêche la communication et la réflexion. L’incessant déversement de programmes suscite une adhésion immédiate, qui génère le silence. Marie-José Mondzain explique ce processus (3) : "Quand on est privé de la possibilité de faire la différence entre ce qu’on voit et ce que l’on est, la seule issue est l’identification massive, c’est-à-dire la régression et la soumission". Le réel devient ce que l’on voit. Or, s’il n’y a pas de distance entre le réel et le vu, il n’y a pas de jugement possible, donc plus besoin du politique. La réalité devient nôtre, pourquoi la changer ? Car c’est bien, comme l’explique M.J. Mondzain "cette résistance au réel qui suscite la pensée et qui incite les humains à se rassembler." La télévision engendre donc une dépolitisation du monde. L’individu-e est réduit-e à l’état de client-e et de spectateur/rice, comme l’avait pressenti Guy Debord dans Commentaire sur la Société du spectacle lorsqu’il écrivait "celui qui regarde toujours pour savoir la suite n’agira jamais." L’individu-e est convaincu-e de son impuissance face à son époque. La réalité de l’ordre établi s’impose alors d’elle même, immuable. (...)



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