Cette année, le 11 septembre 2003, nous commémorerons le 30ème anniversaire d'une tragédie, celle du coup d'Etat fasciste contre le gouvernement socialiste du président chilien Salvador Allende. Un occasion pour revenir avec Gabriel García Marquez sur cet événement.
Nous sommes à la fin 1969. Trois généraux du Pentagone reçoivent à dîner quatre militaires chiliens dans une villa de la banlieue de Washington. Leur hôte, alors colonel de l'Armée de l'air chilienne, est Gerardo Lúpez Angulo, qui est aussi attaché à la mission militaire du Chili aux États-Unis. Ses invités chiliens sont des camarades des autres armes. Ce dîner est organisé en l'honneur du directeur de l'École d'Aviation du Chili, le général Carlos Toro Mazote, arrivé la veille en visite d'études. Au menu : une salade de fruits et un rôti de veau aux petits poix, le tout arrosé d'un vin de la lointaine patrie que les sept militaires dégustent, nostalgiques, en pensant aux oiseaux lumineux des plages du Sud, alors que Washington naufrage dans la neige. Leur conversation, en anglais, porte sur le seul sujet qui semble intéresser tous les Chiliens à l'époque : les élections présidentielles du mois de septembre prochain. Au dessert, un des généraux du Pentagone demande ce que ferait l'Armée chilienne si le candidat de la gauche, Salvador Allende, gagnait les élections. Le général Toro Mazote répond alors : « Nous prendrons le Palais de la Monnaie en une demi-heure, même s'il nous faut l'incendier ! »...