Toute la lumière pourra-t-elle enfin être faite sur le meurtre de l’écrivain-cinéaste italien Pier Paolo Pasolini, assassiné pendant la nuit du 1er au 2 novembre 1975 ?
Au matin du 2 novembre 1975, le corps de Pier Paolo Pasolini fut découvert sur une décharge publique à côté d’Ostie. On pense que l’homicide fut commandité par la mafia parce qu’une semaine avant sa mort, l’écrivain expliquait à un journaliste en Suède qu’il pensait qu’il se ferait tuer bientôt !
Effectivement Pasolini enquêtait sur le lien entre la mafia et la prostitution tant masculine que féminine. En 1976, le jeune prostitué homosexuel de 15 ans, Pino Pelosi fut arrêté, jugé et incarcéré pour ce crime qualifié de crapuleux mais que la journaliste Oriana Fallaci, grande amie de Pasolini, ainsi que d’autres journalistes d’investigation – parmi lesquels les collaborateurs du magazine Oggi – ont toujours réfuté, le qualifiant de crime politique ; ils ont aussi refusé la théorie de l’assassin solitaire, Oggi avait même publié un article à ce sujet il y a 10 ans, attestant que les assassins devaient être au nombre de quatre.
Le gendarme Renzo Sansone, désormais à la retraite, a toujours affirmé que les blessures infligées à Pasolini ne pouvait être l’œuvre d’un seul homme ; selon Sansone, le jeune Pelosi – à l’époque un jeune homme d’aspect gracile – n’aurait pu, seul, battre à mort l’écrivain italien. De plus, Pelosi actuellement âgé de 47 ans a avoué lors d’une retransmission de l’émission « L’ombre del giallo » sur RAITRE ne pas avoir été le seul agresseur de l’écrivain ; il était accompagné des frères Borsellino et de Giuseppe Mastini, surnomme « Johnny le gitan » et bien connu pour ses accointances avec la mafia. Or le meurtre de Pasolini a toujours été considéré par les journalistes et amis de Pasolini comme un crime de mafieux dans lequel la démocratie chrétienne aurait aussi joué un rôle, dérangée comme elle l’était par les enquêtes de Pasolini sur l’argent du parti et ses relations avec la mafia.
Les frères Borsellino entretemps sont morts du sida en prison, Mastini par contre, un assassin récidiviste, purge une peine de travaux forcés.
Toujours selon les déclarations de Pino Pelosi, Pasolini ne devait en aucun cas réchapper de l’agression.
Une journaliste du magazine Oggi a rencontré le gendarme Sansone suite aux suggestions du réalisateur Marco Tullio Giordano. Celui-ci est le réalisateur du film « Pasolini, un delitto italiano » . L’avocat de la famille Pasolini demande la réouverture de l’affaire, afin que toute la vérité soit enfin faite, il espère que grâce aux méthodes modernes de la police scientifique, on pourra déterminer le lieu exact du meurtre de l’écrivain dont le corps fut peut-être simplement déposé à l’Idroscalo di Ostia, Pasolini ayant été assassiné ailleurs. Pelosi a toujours prétendu avoir roulé « par erreur » sur le corps parce qu’il faisait sombre et que dans la grande confusion qui régnait cette nuit-là, il s’était mis à poursuivre avec l’Alfa Romeo de Pasolini des assaillants siciliens, parce que lui et ses amis se trouvaient par hasard sur les lieux. Sansone n’a jamais cru à cette version des faits, mais seul Pelosi fut emprisonné pour le meurtre de l’écrivain. Par ailleurs, il y a encore l’anneau trouvé sous le bras de Pasolini qui tenterait de faire penser à une signature, un rituel mafieux.
L’avocat de la famille espère sincèrement que la vérité éclatera enfin et qu’un des plus inquiétants mystères italiens sera enfin elucidé.
Rappelons qui était Pier Paolo Pasolini
L’homme qui fut assassiné avec une violence inouïe est surtout connu pour son œuvre cinématographique qui fit scandale à l’époque, ainsi que pour des films comme l’Evangile selon Matthieu, Il Decameron et les Canterbury Tales. Cependant, Pasolini c’était beaucoup plus que cela, c’était aussi – et je dirais avant tout – un écrivain extraordinaire, un critique littéraire ainsi qu’un auteur d’essais littéraires.
C’était aussi un homme engagé politiquement et bien que dès 1949 il ne fut déjà plus membre du parti communiste italien, il se considérera toute sa vie comme un catholique marxiste ; ses relations avec le PC devinrent difficiles peu après la mort de Guido, frère cadet de Pasolini, fusillé par des partisans de Tito, alors qu’il avait rejoint leurs rangs pendant la guerre. Une grande confusion et de nombreuses dissidences régnaient au sein des brigades populaires.
De plus, lorsque l’homosexualité de Pasolini fut connue, il sera désapprouvé et expulsé par le PCI.
Pasolini naquit en 1922 à Bologne, considérée depuis toujours comme la cité la plus à gauche de toutes les grandes villes italiennes. Son père était un lieutenant d’infanterie fasciste, sans poste fixe ce qui forçait la famille à déménager régulièrement. Sa mère était gouvernante, une femme instruite et cultivée dont Pasolini se sentira très proche durant toute son existence. Leur rapport quasi symbiotique se renforcera encore après la mort tragique de Guido, le jeune frère qui adulait son aîné. C’est d’ailleurs à l’exemple de Pier Paolo que Guido s’était engagé dans les brigades communistes pour lutter contre le fascisme.
C’est dans le film « Œdipe Roi », réalisé en 1964 que le cinéaste mettra en scène ses relations familiales, du moins au début du film.
Dès 1937 la famille Pasolini retourne à Bologne où le jeune Pier Paolo étudie l’histoire de l’art et de la littérature à l’université ; à la même époque il se met à publier de brefs articles dans la revue politique et littéraire des étudiants universitaires : Architrave.
En même temps, il commence à écrire ses poèmes dans la langue du Frioul ; le premier recueil intitulé « Poésie à Carsara » fut imprimée à compte d’auteur. Cette œuvre reflète la passion de Pasolini pour sa langue maternelle, pour les paysages du Frioul et la vie paysanne. Les poèmes témoignent de la profonde connaissance qu’avait Pasolini du poète Giovanni Pascoli : c’est sur ce dernier ainsi que sur Eugenio Montale que portera sa thèse de fin d’études. D’autres œuvres poétiques écrites à la même époque ne furent toutefois publiés qu’en 1958. L’essai dédié aux poètes Pascoli et Montale fut publié dans une revue bolognaise et est toujours considéré, actuellement, comme un exemple d’analyse littéraire.
Dans son œuvre politique, Pasolini mettra souvent l’accent sur l’idéologie qu’elle soit marxiste ou bourgeoise, ainsi que sur l’engagement « aveugle » des membres d’un parti. L’ambiguïté des réactions des membres du PCI pèsera lourdement dans l’engagement politique de l’auteur, après que l’écrivain, plutôt provocateur et courageux, décida d’avouer publiquement son homosexualité ; c’est à cette époque qu’il était tombé amoureux d’un jeune paysan à qui il enseignait l’art de la poésie , lorsque leur relation fut découverte, Pasolini perdit son poste d’enseignant et fut expulsé du PCI.
Peu après il partit vivre à Rome avec sa mère ; c’est là qu’il écrira poèmes et romans inspirés de la vie dans les bas-fond. Les deux premiers volets d’une œuvre écrite non seulement en italien mais également en dialecte romain, intitulé « Ragazzi di vita » et « Una vita violenta » furent les premiers ouvrages confirmant le talent immense de l’écrivain. Ces romans décrivent la vie des plus démunis et le réveil de la conscience sociale. Les deux romans furent traduits en anglais en 1960 mais furent saisis par la police italienne sur ordre du premier ministre d’alors Antonio Segni, les considérant comme des obscénités.
« Una vita violenta » raconte l’histoire d’un jeune garçon vivant dans le désespoire mais découvrant après un court séjour en prison la possibilité de changer cette vie sans but en se lançant dans la lutte sociale. Il ne s’agit pas uniquement d’un récit basé sur la philosophie marxiste mais aussi le récit d’un jeune homme à la recherche d’une existence meilleure ; le récit comporte maints détails et dialogues des plus réalistes.
Alberto Moravia écrivain et critique littéraire, grand ami de Pasolini, considérait son ce dernier comme l’un des plus importants poètes italiens, ayant donné la parole à toute une généraltion d’après-guerre. Selon Moravia, Pier Paolo Pasolini était sincèrement convaincu que la classe la plus pauvre du prolétariat pouvait sauver le monde car c’est une classe honnête, sans corruption aucune, ayant un mode de pensée original. Moravia a toujours dit que Pasolini était le « Jean-Jacques Rousseau de l’époque moderne ».
« Le Ceneri di Gramsci » marque le retour de Pasolini vers le débat politique ; son choix était justifié par les théories de cet homme courageux, co-fondateur du PCI qui fut incarcéré par les fascistes pendant les dix dernières années de sa vie. Aux yeux de Pasolini, Gramsci est l’exemple type d’un homme honnête et sincère, défendant ses idées jusqu’à la mort.
Etant donné que l’écrivain s’intéressât tellement au langage et aux diverses langues parlées, ainsi qu’aux dialectes, dès 1960 il se mit à étudier la sémantique ; l’écrivain Carlo Emilio Gadda, auteur d’une œuvre mélangeant quatre dialectes différents eut également une importante influence sur Pasolini.
Celui-ci, en plus de la poésie et des romans ou nouvelles, était aussi scénariste : dès 1961 il décida à la réalisation cinématographique. Son premier film, intitulé « Accatone » est une adaptation du roman « Una vita violenta ». La prostitution marquera très fort l’écrivain, qui en fit le thème de son deuxième film« Mamma Roma » , offrant à l’actrice Anna Magnani l’un des rôles les plus émouvants de sa carrière. Mais c’est grâce à « l’Evangile selon St-Matthieu » que l’auteur se fera connaître universellement ; il s’agit d’une adaptation de l’évangile de saint Matthieu tourné en Lucanie et en Calabre, les régions décrites par Carlo Levi dans « Cristo si è fermato a Eboli » ; ce choix fut délibéré en raison de la pauvreté de ces régions. Exceptionnellement le clergé catholique financera le film qui remportera le Prix Spécial du Jury à la Mostra de Venise (ce même clergé l’avait vilipendé pour blasphème un an auparavant, comme quoi ….).
Désireux de mettre en scène le slogan « Faites l’amour, pas la guerre », Pasolini tourna alors en 1968 le film « Théorème », pour lequel il fit appel à des acteurs célèbres mais aussi à des inconnus ; il a mélangé le réalisme italien à l’idéologie révolutionnaire avec violence, sexe et sadisme, des thèmes récurrents dans son œuvre.
C’est cependant dans le courant de 68 que d’autres auteurs commencèrent à avouer leur homosexualité à l’instar de l’auteur italien.
Pier Paolo Pasolini a expliqué son œuvre cinématographique dans de multiples essais, toutefois ses œuvres devinrent de plus en plus hermétiques et controversées mais en même temps, dans la vie même de l’auteur, la situation devenait plutôt contradictoire, celui-ci s’embourgeoisant et devenant de plus en plus individualiste. Toutefois, toujours provocateur, Pasolini tourne «Salo ou les derniers jours de Sodomme », mettant en scène la décadence du fascisme, film dans lequel l’auteur veut prouver que fascisme et sadisme sont intimement liés.
Toutefois, malgré toutes les provocations cinématographiques de cet artiste hors norme, il ne faut pas perdre de vue l’immense talent de créativité, de poète et d’écrivain de Pasolini ; il poursuivit d’ailleurs l’écriture d’essais et tragédies en vers. Ses écrits critiques furent édités de même que les articles qu’il écrivit pour le quotidien « Corriere della Sera ».
Le livre « Scritti Corsari » est - selon moi – le livre dans lequel l’écrivain se révèle avec une grande honneteté, il y parle de l’avortement, de la publicité (qu’il abhorrait), de la politique, de la religion. Ce sont, pour moi, les écrits qui reflètent le mieux l’homme bon, mais au caractère compliqué, entier à cause de sa sincérité sans complaisance. Pour Pasolini, ils étaient des « écrits d’occasion », des coups de sonde sur le monde dans lequel nous sommes forcés de vivre mais pas forcément d’accepter. En 1972, ses écrits littéraires furent publiés sous le titre « Empirismo Eretico » ; ils traitent de ses interventions, polémiques et critiques autour de trois thèmes fondamentaux pour l’auteur : la langue, la littérature et le cinéma ; ce sont aussi des réflexions sur ses propres activités d’écrivain, réalisateur et romancier ; ils sont le témoignage d’un homme sincère, passionné et généreux.
Inspiré par un article dans le magazine italien OGGI.
Voir aussi www.pasolini.net