Comment les cétacés, si différents des mammifères à fourrure, sont-ils devenus les maîtres des mers ? Une cascade de découvertes permet de raconter l'histoire évolutive qui relie les géants des océans à leurs lointains ancêtres terrestres...
C'est donc ça l'ancêtre de la baleine ? Une espèce de gros rat haut perché sur pattes, au museau pointu et à la longue queue musclée ? Avec cela, un pelage ras (voir ci-dessous), une taille qui hésite entre celle du loup et du renard... et des moeurs de charognard. On peine à imaginer sa parenté avec les majestueux cétacés. Sauf à le regarder avec l'oeil énamouré des paléontologues.
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C'est que sous sa piteuse allure, le carnivore Pakicetus, exhumé au Pakistan et vieux de 50 millions d'années environ, dissimule à la fois un crâne de cétacé et - surprise ! - des chevilles articulées comme celles d'une vache. Un second carnivore du même âge mais de taille plus modeste, Ichtyolestes, a été mis au jour non loin du premier, ce qui prouve qu'à l'époque, plusieurs créatures du même acabit arpentaient les plaines alluviales.
" C'est l'une des découvertes les plus importantes du XXe siècle en paléontologie des vertébrés, estime Christian de Muizon, du Muséum national d'histoire naturelle de Paris. Comme l'archéoptéryx pour les oiseaux et l'australopithèque pour l'homme, Pakicetus constitue un élément clé dans l'évolution des cétacés. "
On disposait déjà de crânes de cétacés archaïques, caractérisés par une bulle - c'est-à-dire un os formant cavité - du tympan très épaisse. Mais soit ces restes incomplets ne permettaient pas de déduire le mode de locomotion de leur propriétaire, soit ils appartenaient à des créatures plus récentes et déjà amphibies, ou même carrément aquatiques. Cette fois, les paléontologues ont déniché le tout premier cétacé, une créature terrestre capable de piquer des sprints lors de la chasse, mais aussi de s'aventurer dans la rivière pour s'y nourrir.
" Pour la première fois, les nouveaux fossiles montrent des chevilles bien préservées ", admire le paléontologue Kenneth Rose, de l'université Johns Hopkins (Baltimore, Etats-Unis). Cette région morphologique est essentielle à deux titres. D'une part pour comprendre l'histoire évolutive des premiers cétacés, la façon dont ils sont devenus des animaux aquatiques. D'autre part pour savoir quel était leur ancêtre sur terre. "
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Réalisées par Johannes Thewissen, de l'université de l'Ohio (Etats-Unis), ces trouvailles (1) mettent également un terme à cinquante ans de controverse. En effet, si les scientifiques s'accordaient sur le fait que les cétacés aquatiques et à sang chaud dérivaient forcément de formes terrestres (il y a 50 à 65 millions d'années, les seuls mammifères existants habitaient en effet la terre ferme), ils divergeaient dès qu'il s'agissait de pointer leur famille originelle. Les paléontologues postulaient ainsi que les baleines étaient apparentées aux mésonychiens, un groupe aujourd'hui disparu d'ongulés carnivores primitifs, à l'allure d'hyène. Leurs dents ne ressemblaient-elles pas fortement à celles, plates et triangulaires, des premiers cétacés marins ? De leur côté, ADN à l'appui, les biologistes moléculaires clamaient que les baleines étaient plutôt parentes des hippopotames. Les derniers travaux viennent leur donner partiellement raison.
Car les chevilles du premier des cétacés archaïques le relient clairement aux artiodactyles, un ordre de mammifères aux pieds munis d'un nombre pair de doigts et qui regroupe des herbivores à sabots, parmi lesquels l'hippopotame mais aussi la vache ou le chameau. Tout comme eux, il est doté d'un astragale à double poulie, formant un lien d'une grande souplesse entre la jambe et le pied. Cette invention mécanique aurait d'ailleurs subsisté durant près de cinq millions d'années chez les cétacés. Comme par un heureux hasard, le géologue Philip Gingerich, de l'université du Michigan (Etats-Unis), vient en effet d'exhumer (2), toujours au Pakistan, un autre cétacé archaïque, plus jeune mais toujours porteur de ces fameux astragales à double poulie. Nageur inventif, Rodhocetus balochistanensis n'ondulait déjà vraisemblablement plus comme une sirène, mais utilisait ses membres arrière pour évoluer dans un plan vertical. Avec ses membres antérieurs atrophiés, cet animal préfigure d'ailleurs l'apparition des mammifères géants au corps profilé comme une torpille et à la puissante nageoire caudale.
Et, fait rarissime en paléontologie, l'histoire évolutive des baleines, celle de leur incroyable adaptation à l'eau, est tout à coup devenue limpide. Suite de l' article en lien par Rachel Fléaux ..
Source & infos complémentaires : Sciences & Avenir