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Sous le soleil noir de la Mélancolie

« Mélancolie, génie et folie en Occident » , c’est sous ce titre, célébrant la définition du poète Nerval que les Galeries Nationales du Grand Palais ont présenté leur superbe exposition consacrée à un sentiment toujours présent dans l’existence humaine. L’exposition, organisée par la RMN et les Staatliche Museen zu Berlin – avec le soutien du Musée Picasso de Paris – a débuté mi-octobre 2005 et se poursuit encore jusqu’à la mi-janvier 2006 Ensuite, elle partira pour Berlin, où elle sera présentée à la Neue National Galerie du 16 février au 7 mai 2006.

« Voici venue l’heure qui suit le désir du voyageur et que s’attendrit le cœur », ainsi s’exprime Dante, lorsque le poète observe, sur la plage du Purgatoire, le soleil couchant et le crépuscule doré, se remémorant son voyage supraterrestre, le cœur serré en songeant à tout ce qu’il a laissé derrière lui. Telle est aussi cette mélancolie, l’un des problèmes auxquels l’homme d’aujourd’hui est sensible, que ce soit dans l’histoire de la médecine, de la psychiatrie, de la philosophie, sans oublier la littérature et l’art ; traditionnellement la mélancolie est considérée comme cause de souffrance et de folie, mais aussi comme l’expression du tempérament des génies et des héros.



Jean Clair, curateur de l’exposition, a voulu prouver ce dont l’Europe est redevable à la mélancolie ; pendant dix ans il a recherché et réuni 250 œuvres démontrant la reconnaissance tant médicale qu’historique sur les effets de la « bile noire » ou melagkholia (en grec, d’où l’appellation « mélancolie). Même si actuellement elle est appelée « dépression » et fait l’objet d’une approche médico-scientifique, la représentation iconographique de la mélancolie est extrêmement riche ; il n’est donc nullement surprenant que ce soit l’histoire de l’art qui ait fourni les bases d’une approche culturelle du malaise saturnien.



C’est ce que propose l’exposition divisée en huit sections, avec des œuvres de Dürer, Bosch, Watteau, Poussin, Goya, Delacroix, Gericault, Van Gogh, Hopper et beaucoup d’autres :



I . Prologue – Mélancolie antique : au 5ème siècle avant JC on parlait de la théorie des quatre humeurs, dans des écrits dits « hippocratiques » ; parmi ces humeurs, la bile noire était reconnue comme la plus dangereuse en raison de son instabilité.



II. Le Bain du diable : vers la fin du 3ème siècle après JC, des chrétiens se retirent dans le désert (Egypte, Syrie) ; ils sont plongés dans une prostration nommée dans les textes d’époque « acedia » - en théologie, l’accidie mène à la paresse du cœur et sera considérée comme l’un des sept péchés capitaux. Dans les pays du Nord, les représentations des tentations de saints ermites (Hieronymus Bosch p.ex.) dénotent le trouble des esprits. L’iconographie chrétienne multiplie les images d’affliction telles les Saintes Femmes Eplorées, adoptant une pose qui deviendra celle là même de la Mélancolie, à savoir la main gauche soutenant la tête.



III. Les Enfants de Saturne – la Renaissance : l’astrologie médiévale établit un lien entre les planètes et les humeurs (Saturne et la bile noire). Les tempéraments mélancoliques seront rangés sous l’appellation « les enfants de Saturne », incluant tous les êtres déchus ou marginaux de la société, notamment les artistes. La très célèbre gravure d’Albrecht Dürer est au cœur de l’exposition ; elle marque ce que l’on pourrait appeler l’Age d’Or de la Mélancolie. Plus tard, le thème suscite des représentations particulièrement riches, où les figures, les objets acquièrent un caractère allégorique ; les natures mortes d’alors, nommées « vanités » vont connaître un immense succès au 18ème siècle.



IV. L’anatomie de la mélancolie – l’âge classique : dans l’Angleterre élisabéthaine ainsi qu’à la cour de Rodolphe II à Prague, se développe un courant de valorisation de la mélancolie ; celui-ci déclinera toutefois au début du 17ème siècle. En publiant son « Anatomie de la Mélancolie », le pasteur Robert Burton marque le retour d’une conception médicale, dénonçant les maux que la mélancolie suscite. En art, le thème ne suggère plus guère que des idées de solitude et de méditation .



V. Les lumières et leurs ombres – le 18ème siècle : l’âge des Lumières crée un nouvel ordre qui classera la mélancolie dans le domaine de la folie ; Descartes dans ses « Méditations » parle des insensés au cerveau troublé ; pour Diderot la bile noire de la folie est une faiblesse physique et intellectuelle. Désormais le savoir laïque classe la mélancolie dans une maladie de l’esprit, elle doit donc être traitée dans des asiles ou des hospices. Toutefois un nouveau courant se fait jour : la mélancolie bourgeoise du 18ème, devenant un malaise de vivre général, son décor est la nature dont la solitude permet de s’échapper du monde. René de Chateaubriand amorce le courant romantique qui commence.



VI. Dieu est mort – Le romantisme : Nietzche proclame la mort de Dieu, ce qui clôt la longue histoire de la perte d’un monde garanti par la foi. L’attitude mélancolique se transforme à présent en une négation tragique du monde, elle se radicalise et conduit au désespoir métaphysique que l’on retrouve dans la littérature, de Baudelaire à Huysmans. L’une des images les plus fortes est celle de l’homme seul au milieu des grandes villes ; la flânerie est une manifestation de l’ennui et de l’oisiveté, le « spleen » (mot anglais désignant la rate, siège de la bile noire) devient l’expression moderne de la mélancolie.



VII. La naturalisation de la mélancolie : Au début du 19ème siècle la psychiatrie se constitue dans la médecine. La mélancolie et son autre pôle, la manie, deviennent un sujet d’étude de cette science nouvelle ; apparaissent différentes appellations, telles l’hypocondrie, la neurasthénie, ensuite la psychose maniaco-dépressive et la dépression bi-polaire. De Charcot à Freud, l’histoire de l’aliénation continue à s’écrire tout au long du 20ème siècle. Sans faire l’objet d’une définition unanimement reconnue, la mélancolie devient un topos de la science de l’âme.



VIII. L’ange de l’histoire – Mélancolie et temps modernes : la conscience malheureuse du mélancolique se trouve aggravée par les effets de l’Histoire : échecs des grandes utopies sociales et des idéologies politiques, guerres ; les totalitarismes favorisent le repli sur soi ; le moment esthétique devient un moyen de se distancier du monde.



Même si à la sortie de ce long parcours au travers des huit sections consacrées à la mélancolie et au chagrin qu’elle génère, sans oublier la douleur généré par le mal de vivre, le visiteur éprouve un léger sentiment de tristesse lui aussi, il ne peut qu’éprouver des pensées positives en songeant à toute la créativité engendrée par cette fameuse mélancolie.



Voir le site de l’exposition sur www.rmn.fr et l’article de Silvia Tomasi sur www.panorama.it

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