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La tentation du « loft management »

De leurs salariés, les entreprises attendaient autrefois qu’ils soient tout simplement présents. Désormais, elles exigent d’eux qu’ils se montrent transparents. Hier, c’étaient les corps et les mouvements dans les usines que Frédéric Winslow Taylor et Henry Ford traquaient. Dorénavant, ce sont les valeurs des collaborateurs, leurs croyances, leur intériorité, leur personnalité qui sont convoitées. Une évolution sociologique majeure. Sous l’influence du management postmoderne, la frontière entre la sphère privée et la sphère publique devient un enjeu de lutte historique, à l’instar de l’émission « Loft Story », qui expose médiatiquement ce qu’autrefois on cachait : son intimité.

Les managers recherchent l’« efficacité totale », à grands coups d’organisation matricielle, de logique de réseau, de bureau virtuel, de team, de task force, d’incentive et autres fringe benefit (1). A ce modèle managérial correspond un collaborateur mutant, sorte de superman dont les qualités personnelles (le « savoir-être ») deviennent aussi importantes pour sa carrière que ses talents professionnels (le savoir-faire).



Hier, hormis leur préoccupation pour les opinions politiques et syndicales de leur futur employé, les chefs du personnel examinaient avant tout les capacités « techniques » des candidats – attestées par l’expérience et par les diplômes, validées par les certificats de travail et sacralisées par le cahier des charges. Actuellement, les directeurs de ressources humaines complètent leurs investigations en étudiant avec une extrême attention le profil de personnalité du candidat potentiel, ses compétences sociales, son intelligence émotionnelle (ou QE), sa résilience, son talent à créer des liens, à animer des réseaux internes, à communiquer, à gérer des conflits. Bref, à incarner les nouveaux canons de l’excellence organisationnelle...



Du coup, lors d’entretiens spécifiques (d’embauche, d’évaluation, de correction, de licenciement), les entreprises s’autorisent ce qui était interdit autrefois : interroger pseudo scientifiquement le collaborateur sur ses valeurs personnelles (« Etes-vous dominateur ou suiveur ? ») ; son psychisme (« Etes-vous émotif ou rationnel ? ») ; son intimité (« Avez-vous besoin de valorisation ? Pourquoi avez-vous divorcé ? ») ; ses qualités personnelles (« Vos trois points forts, brièvement, bien sûr ») ; ses croyances (« Quelles sont vos valeurs ? ») ; son réseau social (« Profession du père, métier de la compagne, participation à des clubs de services : Rotary, Lions, Kiwanis ») ; sa capacité de séduction, d’organisation, de communication (« Vous considérez-vous comme intelligent émotionnellement ? »)...



Le management à la « Loft Story » exige la transparence totale sur des registres personnels qui appartenaient jusqu’à présent à l’individu, et à lui seul. Le « soi » n’est plus uniquement à soi. Il est devenu terrain de conquête de l’entreprise. (..)



Suite de l'article : Le Monde Diplomatique

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