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La liberté de la presse et mon hamster à moi

Vous avez déjà vu un hamster en cage ? Mignon, n’est-ce pas ? Tout petit, j’étais fasciné devant le spectacle d’un hamster courant dans l’inévitable roue qui garnissait sa cage. Il faut bien dire qu’il n’avait pas grand chose d’autre à faire, le pauvre. Il faut dire aussi que les choses ne se sont guère arrangées pour lui depuis l’instauration des 35 heures. Bref, il courait, courait le hamster derrière une hypothétique médaille d’or de l’ennui carcéral.

Il fallait être un humain doué d’une intelligence supérieure pour s’apercevoir qu’en réalité l’hamster faisait du sur-place. Et comme j’étais justement doué d’une telle intelligence, je suis rapidement arrivé à la même conclusion, agrémenté d’une opinion - un peu péremptoire, certes, mais j’étais TOUT PETIT, rappelez-vous. Et cette opinion à l’époque était la suivante : "il n’y a rien de plus con qu’un hamster".



Il m’a fallu un certain temps - le temps de frotter ma peau burinée contre le revêtement anti-adhésif des casseroles médiatiques - pour comprendre à quel point j’avais tort. En réalité, il existait bien un être encore plus con qu’un hamster et j’hésite encore à vous révéler son identité. Mais j’en ai déjà trop dit, ou pas assez, alors tant pis, je vous le dis : plus con qu’un hamster, il y avait moi.



Non, je vous en prie. Epargnez-moi vos consolations maladroites, votre condescendance humiliante, vos justifications déplacées, votre sympathie à retardement... Jugez plutôt sur pièces : j’ai longtemps admis sans sourciller l’idée - sans cesse rabâchée, martelée, imposée - que "La liberté de la presse est le meilleur garant de la démocratie". Message subliminal colporté aujourd’hui par cette officine de bras cassés qui se nomme Reporters Sans Frontières.



J’adore décortiquer ces idées qui traversent la société comme une colonne de GIs traverse le désert Irakien : droit devant, sans poser de questions. Les formes sombres calcinées sur le bas-côté de la route ne sont jamais interviewés. Dommage pour eux. Dommage pour nous.



En vérité, "La liberté de la presse est le meilleur garant de la démocratie" sonne comme une injonction divine. Son apparente évidence paralyserait et laisserait sans voix même le plus déjanté des commentateurs sportifs brésiliens. C’est vous dire si le travail de critique est rude, politiquement incorrect et risqué. D’où mon empressement à le faire.



Ce n’est d’ailleurs pas tellement que j’aurais changé, c’est juste que je viens de m’en rendre compte. Et n’allez surtout pas croire que j’aurais soudainement décidé de couper les cheveux des mouches en quatre. Si chaque mot à son importance, et je le crois, nous sommes en présence ici d’une arnaque intellectuelle de première grandeur qui, comme toutes les idées similaires, projettent un écran de fumée sur la réalité des choses et participent au maintien d’un statu quo qui convient à une petite minorité. Après tout, "les idées (prétendument) dominantes d’une époque ne sont (jamais) que les idées (imposées) de la classe dominante de l’époque" disait - de mémoire - un barbu marxiste. Les mots entre parenthèses ont été rajoutés par mes soins, histoire de me donner aussi une petite dimension historique.



Procédons d’abord à une petite analyse de texte : "La liberté de la presse est le meilleur garant de la démocratie" disent-ils. On aurait pu dire "La liberté des journalistes..." (les individus), mais on dit "la liberté de la presse" (l’industrie). Nuance subtile mais ô combien importante pour l’inconscient collectif. Selon Serge Halimi, "L’information est devenue un produit comme un autre. Un journaliste dispose d’à peine plus de pouvoir sur l’information qu’une caissière de supermarché sur la stratégie commerciale de son employeur."



Alors gardons le parallèle et énonçons une nouvelle "vérité évidente" à la manière de RSF : "La liberté de la grande distribution est le meilleur garant des consommateurs". Et là, du coup, plus personne ne rigole. Et que dire de ceci : "La liberté des promoteurs immobiliers est le meilleur garant des locataires" ? Et là, du coup, vous êtes bien pâle. J’aime bien aussi celle-ci : "La liberté des patrons est le meilleur garant des travailleurs". Et là, du coup, vous êtes au chômage.



En déclinant les exemples, l’absurdité de la chose prend toute son ampleur.



Suite de l'article : Le Grand Soir

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