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Biodiversité: Les débâcles du vivant

Personne n'oserait contester la réduction galopante de la biodiversité sur notre planète. Responsable de l’hécatombe ? Homo sapiens. Ou plus précisément Homo industrialis, comme certains scientifiques préfèrent le désigner, jugeant sans doute sa puissance technologique plus avérée que sa sagesse. Mais l’actuelle érosion du vivant se compare-t-elle aux crises passées ? S’agit-il d’un phénomène sans précédent ? Répondre à ces questions suppose d’étudier les écosystèmes d’autrefois.

Décrypter un écosystème, même bien vivant, est un travail de longue haleine. Cela suppose de recenser, dénombrer (même approximativement) et comprendre les interrelations des organismes qui le composent. Le nombre d’espèces décrites est aujourd’hui d’environ 1,7 million (en grande majorité des invertébrés). Il en reste sans doute dix fois plus à explorer…







Survivants de la préhistoire, jamais domestiqués et frères de ceux qui sont représentés à Lascaux, les petits chevaux de Przewalski ont été sauvés de l'extinction par les zoos et parcs animaliers. Ils vivent notamment en France, dans le Parc naturel des Cévennes.© L.Tarnaud/MNHM





Quand il s'agit d'environnements disparus depuis des milliers d’années, tout se complique. Les scientifiques doivent raisonner sur des fossiles et les fossiles sont rares. Le devenir naturel d’un organisme mort est d’être dégradé par des charognards ou des micro-organismes décomposeurs – les molécules qui le constituent sont rapidement recyclées et toute trace de son organisation disparaît. Ce n’est que dans des circonstances très particulières, notamment en l’absence d’oxygène ou en milieu acide, que certains tissus sont conservés. Bien souvent, la fossilisation ne concerne que les parties les plus dures (graines, coquilles, dents, os), à partir desquelles il faut reconstituer le reste de l’organisme. Quant à l’ADN, il est d’une fragilité extrême et les fragments de cette molécule qui parviennent à traverser les âges sont généralement inutilisables.



Cinq grandes extinctions

Les scientifiques ont néanmoins réussi à tracer une esquisse de l’histoire de la biodiversité. Celle-ci explose véritablement il y a 530 millions d’années, au début de la période géologique connue sous le nom de cambrien. On observe alors une multiplication rapide des familles d’êtres vivants – il est difficile de raisonner en termes d'espèces pour des temps aussi reculés. A cinq reprises, néanmoins, la diversité de la biosphère connaîtra de sévères reculs, au cours de catastrophes entraînant l’extinction d’un très grand nombre d’espèces en un temps relativement court. La cause de ces extinctions en masse est encore un des grands mystères de l’évolution. Cataclysmes volcaniques ? Oscillations brutales du niveau des mers ? Impacts d’astéroïdes ? Combinaisons de ces différents facteurs ? Le débat est ouvert. Quoiqu’il en soit, entre ces divers désastres, la biodiversité tend globalement à augmenter et de nouvelles espèces viennent "compenser" celles qui ont disparu.



Sur la piste des pollens











Les grains de pollen que l'on retrouve en Europe, notamment dans des tourbières, éclairent l'histoire des écosystèmes jusqu'il y a deux millions d'années.




Pour des périodes plus "proches" (telle celle du quaternaire qui recouvre les deux derniers millions d’années), l’histoire des écosystèmes s'éclaire, particulièrement en Europe, grâce à l'analyse des grains de pollen. Précieux pour la description des environnements passés, ceux-ci sont particulièrement abondants et bien conservés sur le Vieux continent. Beaucoup de plantes y sont, en effet, anémophiles : elles ont recours au vent pour leur pollinisation(1), ce qui suppose de produire d’énormes quantités de pollen permettant "d’arroser" un vaste territoire. L’Europe dispose en outre d’un réseau remarquable de tourbières, ces étendues d’eau où la matière végétale se conserve bien et longtemps.


Il y a plus de 900 000 ans, les cycles glaciaires/interglaciaires avaient une périodicité d’environ 40 000 ans et une amplitude assez modérée, sans phase extrêmement froide. "La forêt abritait alors de nombreuses espèces qualifiées de reliques tertiaires, nécessitant de l’humidité et des hivers doux. Il s’est ensuite produit un changement progressif et on est passé à une périodicité très régulière de 100 000 ans, avec des crises froides très intenses. Il y eut alors des centaines d’extinctions parmi ces reliques tertiaires et un remaniement complet des arbres dominants , témoigne le pallinologue Jacques Louis de Beaulieu, qui a notamment coordonné le projet européen Fossilva, consacré à l’histoire des forêts européennes. A partir de - 700 000 ans, on se trouve devant des systèmes forestiers tout à fait semblables à ceux que nous trouvons actuellement en Europe occidentale : des chênes, des hêtres, des sapins, et relativement peu de partenaires."



Ce changement, perceptible au niveau des grands arbres, a certainement affecté le reste de la flore et la faune. Il faut néanmoins noter que, lors des dernières glaciations, une partie des êtres vivants peu adaptés au froid parvenait à survivre à l’extrême sud du continent, notamment dans les Balkans et la péninsule Ibérique. Il s’agissait là de véritables zones refuges, permettant aux animaux et aux plantes, dès l’arrivée de l’interglaciaire suivant, de repartir à la conquête des terres précédemment abandonnées.



Les musées du vivant










Avant même le tsunami, le Centre de marine biologique de Phuket, au sud de la Thaïlande, constatait que près de deux tiers des coraux environnants étaient détruits, et moins d'un cinquième dans un état acceptable. En cause : l'activité touristique, la pollution et le réchauffement des eaux. Mais les coraux sont menacés un peu partout. Ici, une photo prise dans les Comores. © L.Tarnaud/MNHM





La recherche européenne s’intéresse également à la biodiversité du passé sous un autre angle. Plusieurs programmes étudient des milieux qui sont de véritables musées du vivant, arrivés à nous, encore pratiquement intacts, à travers les millénaires. Le projet Oasis explore ainsi les monts sous-marins au large de Madère et des Açores, qui constituent des îlots subaquatiques grouillant de vie, isolés des côtes, où se concentrent habituellement de multiples communautés animales, végétales et planctoniques. "Ce projet associe huit universités européennes, mais également le WWF (World Wildlife Fund), souligne son coordinateur Bernd Christiansen, de l’université de Hambourg (DE). En effet, un de nos objectifs est de sensibiliser les décideurs aux dommages causés à ces milieux par la pêche et de proposer des plans de gestion allant dans le sens d’une exploitation durable de ces écosystèmes."



Un autre projet, baptisé Aces, s’est consacré à d’extraordinaires bancs de corail, dont on ignorait l’existence il y a seulement dix ans, situés dans les eaux profondes de l’océan Atlantique. Présentes à différentes latitudes, de la Galice espagnole jusqu’à la Norvège, et à des profondeurs allant de 150 m à plus de 1 000 m, ces structures abritent une faune variée et originale dont la richesse rappelle celle des coraux tropicaux. "Ces milieux difficiles d’accès ont été découverts parce que l’industrie pétrolière et les pêcheries ont commencé à s’y intéresser, indique André Freiwald, de l’université de Erlangen (DE), coordinateur du projet. Mais un véritable effort scientifique international leur est à présent consacré, auquel l’Europe a, dans une certaine mesure, ouvert la voie. Nous sommes en discussion avec des équipes de chercheurs canadiens, australiens et néo-zélandais qui ont l’intention d’utiliser notre expérience pour développer leurs propres études sur les écosystèmes coralliens en eau profonde."



Quant à l’avenir de la biodiversité, il occupe notamment les chercheurs du cluster européen Biota, qui regroupe une quarantaine de projets. C’est que la biodiversité disparaîtrait actuellement à une vitesse comparable à celle des cinq extinctions en masse du passé. Il importe donc de l’étudier, mais surtout de réduire l’ampleur de ce sixième bouleversement. Pas tellement pour le vivant, qui, en quelques millions d’années, s’est toujours remis des pires catastrophes, mais bien pour nous, et nos descendants, qui seront bien en peine d’attendre aussi longtemps…



(1) Le climat tempéré voire froid de l’Europe ne garantit pas une activité permanente des insectes – mieux vaut alors prendre le vent pour allié. A l’inverse, la plupart des plantes tropicales sont entomophiles, à savoir pollinisées par les insectes, capables de porter la précieuse semence droit à sa destination.




Source : RDT Info, Commission Européenne

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