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La Nuit de Valognes, d'Eric-Emmanuel Schmitt

Dans un vieux manoir normand arrivent quatre femmes issues de mondes bien différents, invitées là par la Duchesse de Vaubricourt. Une demoiselle écrivant des romans d’amour, une religieuse, une comtesse qui a jeté la morale par dessus les moulins et se consacre seulement au plaisir des sens et enfin l’épouse d’un joaillier reçu en cours. Chacune d’entre elles est bouleversée par un portrait figurant dans le salon où elles attendent leur hôtesse.

Lorsque la Duchesse paraît, elle leur explique le but de cette réunion : faire ni plus ni moins le procès de Dom Juan, mais contrairement à la statue du Commandeur de Molière qui entraînera le séducteur aux enfers, la condamnation de Dom Juan par ces dames sera bien différente, sinon pire pour cet homme avide seulement de plaisirs et de liberté.



La sentence de leur tribunal, déjà fixée à l’avance d’ailleurs : épouser la filleule de la Duchesse, la douce petite Angélique de Chiffreville qui s’étiole d’un amour impossible pour cet homme que l’idée même d’aimer répugne, ou alors finir sa vie à La Bastille.



Et surprise, lorsqu’arrive le condamné, il accepte cette sentence, car Dom Juan est las, triste, désabusé. Une vie de solitude l’attend, alors pourquoi ne pas épouser cette enfant charmante et si jeune qui l’aime de cette forme d’amour qu’il a sans cesse rejetée tout au long de son existence, un amour exclusif et qui enferme. Bref une prison.



Mais que s’est il donc passé cinq mois auparavant à Valognes, au cours d’une nuit où Dom Juan tua en duel le frère de la jolie Angélique ? Lorsqu’il dira son secret, lorsqu’il dévoilera la vérité, la vengeance de ces dames aura un goût bien différent. Angélique après avoir clamé son amour pendant tout un acte, tentant en vain de convaincre le séducteur qu’il pourra l’aimer, lui qui n’aime personne, le rejettera, désabusée. Et Dom Juan partira seul sur les routes sans son fidèle Sganarelle anéanti par la solitude dans laquelle son maître a décidé de s’enfermer.



Que dire de cette formidable version du mythe de Dom Juan, sinon qu’une fois encore Eric-Emmanuel Schmitt séduit, enjôle, bouleverse. Les commentaires tour à tour cruels, drôles, désabusés sont formidables ; parfois on a envie de plaindre Dom Juan, parfois on le hait purement et simplement. Ici Dom Juan paraît fragile, mais cette fragilité qu’il ressent le rend d’autant plus dur et cruel face à celles qui l’ont aimé, face à cette fragile enfant qui voudrait se l’accaparer.



Le mythe de Dom Juan n’a pas fini de fasciner et d’inspirer les écrivains, cette version « moderne » du mythe est tout à fait à la hauteur de tous les écrivains qui, bien avant Eric-Emmanuel Schmitt, ont tâgé du mythe, que ce soit la version de Molière, celle de Mozart, Théophile Gautier, Dumas, Mérimée, Pouchikine, Barbey d’Aurevilly, Tolstoï, Baudelaire, ainsi que George Bernard Shaw ou Montherlant, Ghelderode, Bertold Brech et bien d’autres dont Roger Vaillant, Charles Bertin, Suzanne Lilar, Drieu la Rochelle, etc. On n’a pas fini de parler du séducteur, on en parle depuis sa création au 17ème siècle par un moine de l’Ordre de la Merci, Fray Gabriel Tellez, grand auteur dramatique connu sous le nom de Tirso de Molina.



La Nuit de Valognes est la première pièce que l’écrivain philosophe écrivit ; elle fut créée en 1991 par Jean-Luc Tardieu. Quinze années plus tard, c’est la troupe du Théâtre du Parc à Bruxelles qui la crée à nouveau et croyez-moi, si vous êtes de passage dans la capitale belge, précipitez vous.



Dans une mise en scène de Patricia Houyoux, avec les superbes costumes de Thierry Bosquet, le comédien Jean-Claude Frison est un Dom Juan superbe, tour à tour blasé ou triste, un homme brisé par un amour de jeune homme qu’il n’a pu contrôler et qui a mené directement à la mort.



Il a en face de lui un Sganarelle des plus sympathiques en philosophe posant les justes questions et aussi les six comédiennes représentant son passé et son éventuel futur, interprété par un truculent Philippe Vauchel.



De la magistrale Colette Emmanuelle à la mignonne Stéphanie Van Vyve, en passant par Isabelle Roelants, Nathalie Willame, Laurence d’Amelio et France Bastoen, toutes sont excellents, superbes, généreuses, drôles.



Les dialogues volent et virevoltent comme les très belles robes crées par Bosquet.

Un régal pour l’esprit et la vue.



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